La bataille de la biomasse est lancée
Le gouvernement vient de publier un nouveau document sur le « bouclage biomasse », dans lequel il réévalue à la hausse le déficit de cette ressource prévu en 2030. Il propose d'en réguler l'accès par un « ordre de priorité des usages », ce qui fait bondir certains professionnels.
Le sujet a émergé il y a déjà plusieurs mois, mais le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) vient de remettre une pièce dans la machine, en publiant un nouveau document sur le « bouclage biomasse » . Un enjeu crucial pour la planification écologique, car de nombreux secteurs comptent se décarboner grâce aux matières organiques (cultures, déchets agricoles, forestiers ou alimentaires, effluents d'élevage, algues), qui permettent de produire de l'énergie ou du chauffage.
Plus approfondi que celui qui avait été publié l'an dernier, ce nouveau document propose notamment une « forme de 'merit-order' » entre les différents usages de la biomasse, qui donne lieu à quelques rudes batailles en coulisse. « Certains professionnels sont très remontés », indique un expert. De cet ordre de priorité dépendront les soutiens publics aux filières industrielles, qui représentent aujourd'hui environ 5 milliards d'euros, indique le document.
Tensions appelées à grimper
Même si nul ne sait comment le futur gouvernement se saisira de la transition écologique, le lourd travail mené par le SGPE depuis deux ans pourrait servir de base aux discussions à venir. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France de 55 % entre 1990 et 2030, ce service rattaché à Matignon a établi des trajectoires par secteur, qui préfigurent la nouvelle stratégie nationale bas carbone (SNBC) de la France ( finalement jamais publiée ).
Or ces travaux montrent qu'il risque fort de ne pas y avoir assez de biomasse pour tout le monde. Si aujourd'hui la production d'énergie (biocarburants, biogaz, bois) et de matériaux biosourcés mobilise 45 millions de tonnes de biomasse par an (en équivalent matière sèche), dont près d'un quart importé, le document du SGPE montre clairement que les tensions sur l'accès à cet « or vert » vont grimper d'ici à 2030. D'autant que la biomasse a des fonctions premières tout aussi fondamentales (alimentation humaine et animale, stockage et absorption du CO2, maintien de la biodiversité).
Selon le SGPE les besoins augmenteront de 44 millions de tonnes d'ici à 2030, pour produire de l'énergie mais aussi pour reconstituer des puits de carbone, ou retrouver de la souveraineté en cultivant, dans l'Hexagone, des produits aujourd'hui importés (tourteaux, soja, grains, viande et poissons, etc).
Il y a sur la biomasse une contrainte extrêmement forte. On ne pourra pas tout faire !
Antoine Pellion Secrétaire général à la planification écologique
En face, les ressources existantes vont à l'inverse plutôt diminuer, face à la moindre croissance de la forêt liée au changement climatique ou à l'artificialisation des sols (-4,5 millions de tonnes). Et les nouvelles ressources envisagées (cultures intermédiaires, haies, etc.) seront loin de compenser (environ 12 millions de tonnes). Le déficit, « réévalué à la hausse » dans ce nouveau document, atteindrait au moins 36 millions de tonnes en 2030.
Soutien public en jeu
« Il y a sur la biomasse une contrainte extrêmement forte. On ne pourra pas tout faire ! » insiste Antoine Pellion, qui dirige le SGPE. « L'ordre de priorité que nous établissons privilégie les usages pour lesquels il y a peu d'alternatives : l'alimentation, les procédés de décarbonation lourds de certaines industries , la chaleur renouvelable quand les autres technologies (géothermie, pompes à chaleur, nucléaire) ne sont pas disponibles, le stockage de carbone, et dans une certaine mesure les biocarburants. Nous avons aussi privilégié les chaînes énergétiques ayant de bons rendements », poursuit-il.
Si la production de biocarburants pour transport lourd (camions, transport aérien) se justifie, ceux pour voitures particulières figurent à l'inverse au second rang des priorités : le transport individuel peut en effet être décarboné grâce à la voiture électrique . La production d'électricité, ou le chauffage et l'eau chaude dans les bâtiments, figurent quant à eux encore plus loin dans le « merit-order » du SGPE.
De quoi faire réagir les professionnels de l'énergie, qui craignent de se voir couper non seulement l'accès à la ressource, mais aussi le soutien public à des filières pas encore rentables. « Le SGPE met la charrue avant les boeufs », regrette Alexandre Roesch, délégué général du Syndicat des énergies renouvelables. « Il faudrait commencer par mettre tous les acteurs concernés autour d'une table, pour se mettre d'accord sur le diagnostic. »
Un groupement d'intérêt scientifique sur la biomasse
Ce qui, selon lui, est loin d'être le cas aujourd'hui. « Nous avons des désaccords avec les hypothèses du SGPE, notamment sur la consommation de biomasse ou le développement des filières industrielles », indique Alexandre Roesch. « Dans le biogaz, il estime ainsi, à tort selon nous, que nos trajectoires ne sont pas réalistes. De même le chauffage au bois des particuliers figure assez loin dans la liste, alors que c'est une filière performante, qui consomme de moins en moins de bois tout en chauffant de plus en plus de ménages. »
En février dernier, lors du salon de l'Agriculture, le gouvernement a mis en place un Groupement d'intérêt scientifique (GIS) regroupant l'Ademe, FranceAgriMer, l'IGN et l'Inrae, précisément pour renforcer l'expertise commune sur la biomasse, et guider les politiques publiques. Une sorte de « Giec de la biomasse », selon les termes d'Antoine Pellion, dont la création juridique est désormais finalisée. Objectif, se mettre au travail dès la rentrée avant d'ouvrir une concertation avec les industriels à l'automne.