« Qui veut la peau de GRDF » et du réseau de gaz français ?
Pour l’avenir, le gouvernement privilégie l’électricité décarbonée au détriment du gaz, dont la consommation ne cesse de diminuer. La fin du réseau de gaz est un scénario à prendre en considération, estime un expert du secteur.
Le réseau de gaz pourrait-il s’arrêter ? Sachant que 10,7 millions de ménages, entreprises et industriels sont desservis par le réseau de distribution GRDF, la question paraît saugrenue. Les faits sont pourtant là. Répétition des hivers doux, crise sanitaire, guerre en Ukraine, efforts de sobriété : la consommation de gaz diminue (-22 % entre août 2022 et mai 2024). Selon l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA), les trois quarts des capacités européennes d’importations de gaz naturel liquéfié pourraient être inutilisées à la fin de la décennie. La France ne fait pas exception : la filière prévoit une nouvelle baisse de consommation de 30 % d’ici à 2035. Le gaz étant une énergie fossile – il a représenté l’an dernier 12,3 % des 385 millions de tonnes de CO2 émises par la France selon l’association Citepa (Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique) –, le gouvernement donne la priorité à l’électricité décarbonée
Depuis des années, GRDF prépare donc la fin du gaz fossile. L’entreprise, filiale d’Engie, prévoit de le remplacer par du biogaz. Avec près de 750 sites de méthanisation, la France dispose du plus grand parc d’injection en Europe. La part du gaz vert – 3 % aujourd’hui – doit atteindre 20 % à la fin de la décennie, puis 100 % en 2050. Problème : son coût de production est 2,5 fois plus élevé que celui du gaz fossile. Et les nouvelles technologies de biogaz (pyrogazéification, gazéification hydrothermale, power-to méthane) s’annoncent encore plus chères.
Des tuyaux avec personne au bout
GRDF aura-t-il suffisamment de gaz vert pour remplir ses tuyaux ? « Le scénario d’un arrêt est à prendre en considération, estime Christian Escallier, directeur général de Michel Klopfer, cabinet spécialisé dans les finances locales. Le réseau peut s’arrêter par morceaux. A l’avenir, on peut imaginer qu’il y ait des quartiers avec des tuyaux de gaz et personne au bout. »
Si cette hypothèse devait survenir, les collectivités locales, propriétaires des infrastructures, pourraient devoir dédommager GRDF pour les investissements consentis (la valeur nette comptable du réseau s’élève à 22 milliards d’euros). Evidemment, les collectivités ne l’entendraient pas de cette oreille, d’autant qu’elles ont des arguments à faire valoir. « Le droit fiscal dit que toute immobilisation qui a été financée par les provisions pour renouvellement doit revenir gratuitement aux collectivités », indique Christian Escallier.
Une hausse des tarifs de 27,5 %
Avec le nombre de clients qui chute et la consommation de gaz qui diminue, le temps où GRDF était la vache à lait d’Engie est en tout cas révolu. Ces deux dernières années, les recettes liées à l’acheminement ont diminué d’environ 10 %, à 3 milliards d’euros. Le résultat comptable de l’entreprise (665 millions en 2020 ; 330 millions en 2021 ; 17 millions en 2022) est maintenant négatif (-178 millions). Résultat : l’intéressement des salariés, qui s’élevait à 42 millions d’euros en 2020, est aujourd’hui tombé à zéro.
Europe : les éoliennes ont produit plus d’électricité que le gaz en 2023
Pas de panique cependant, GRDF ne fera pas faillite, car le tarif de distribution défini par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), couvre l’ensemble de ses coûts. La moins-value de 2023 a un effet transitoire. Elle sera remboursée à GRDF. « La CRE leur alloue une rémunération des capitaux investis d’environ 800 millions d’euros par an, note Christian Escallier. C’est bien payé par une activité qui est peu risquée ». Et le 1er juillet dernier, le tarif de GRDF pour les quatre prochaines années a été rehaussé de 27,5 %.
Un plan d’économies de 180 millions d’euros
Il n’en reste pas moins que les pertes comptables sont là et que l’entreprise ne peut les occulter. « Historiquement, GRDF a toujours passé des provisions au titre du renouvellement du réseau ce qui lui permettait de payer moins d’impôts, précise Christian Escallier. Mais aujourd’hui, cette pratique ne peut être poursuivie car elle plomberait encore davantage le résultat. » Désormais, GRDF inverse la vapeur. En juillet, le conseil d’administration de l’entreprise décidait d’allonger la durée de vie des conduites de gaz de 45 à 100 ans. Cela lui a permis de récupérer quelque 700 millions d’euros de provisions et d’augmenter le résultat d’autant.
Mais l’aspect fiscal apparaît secondaire. La priorité, c’est de dégager des résultats pour que l’actionnaire puisse toucher ses dividendes. « Qui veut la peau de GRDF ? » interroge la CGT dans un tract du 22 octobre. Le syndicat accuse Engie « d’être à la manœuvre pour puiser les fonds de sa filiale afin de garantir un haut niveau de rétribution à ses actionnaires ». Il dénonce un plan d’économie sur quatre ans de 180 millions d’euros qui pourrait affecter 15 % de la masse salariale, soit 2 200 suppressions d’emplois sur un total de 11 500 et se traduire par la fermeture de 13 des 18 plateformes téléphoniques françaises. La direction de GRDF conteste le chiffre de 2 200 emplois avancés par la CGT. Selon un porte-parole, 300 personnes pourraient être concernées par la nouvelle organisation.