Le lobbying continue à plein régime
OPINION. Doté de nombreux avantages par rapport au charbon ou au pétrole, le gaz naturel n'est pourtant pas exempt de défauts. Aux premiers rangs desquels ses émissions et le fait qu'il soit importé de l'étranger, avec l'impact sur notre souveraineté énergétique que cela suppose. Le gaz vert, ou biogaz, pourrait constituer une alternative prometteuse, à condition que les pouvoirs publics accompagnent la structuration d'une véritable filière française, en accélérant notamment la publication du décret sur les « certificats de production de biogaz ». Par Philippe Charlez, Expert en questions énergétique, Institut Sapiens.
Beaucoup sont aujourd'hui convaincus que le gaz naturel sera dans les décennies à venir la principale énergie de transition, notamment en tant que « meilleur ami des renouvelables », pour palier leur intermittence. Rappelons que le gaz naturel émet deux fois moins de CO2 que le charbon et 40% de moins que le pétrole. Par rapport à ses concurrents énergétiques, il a l'énorme avantage de pouvoir intervenir dans la génération électrique à la fois comme base et comme pointe (une turbine à gaz peut être démarrée et arrêtée presque instantanément). De surcroit, en couplant dans un même cycle électrique une turbine à gaz et une turbine à vapeur, le rendement du cycle combiné atteint 60%, contre 35% pour les turbines à vapeur utilisées dans le charbon et le nucléaire. Le gaz est aussi massivement utilisé dans le chauffage domestique avec d'excellents rendements (chaudières à condensation), ainsi que dans la plupart des industries à fort contenu énergétique. Enfin, le gaz peut aussi être utilisé comme carburant routier, soit sous forme comprimée (GNV), soit sous forme liquéfiée (GNL).
Le gaz naturel a toutefois deux inconvénients majeurs. S'il émet moins de CO2 que le gaz et le pétrole, il reste le troisième émetteur le plus important. Par ailleurs, il peut rendre un pays très dépendant des aléas géopolitiques. Le conflit russo-ukrainien est venu rappeler à l'Europe combien la dépendance gazière (le vieux continent importe 90% de sa consommation) représente un sujet de vulnérabilité affectant la sécurité énergétique et la compétitivité des entreprises en provoquant une vague inflationniste dont les plus démunis sont les premières victimes. Produire son propre gaz, de surcroit décarboné, permet de gagner sur tous les deux tableaux. Tel est l'intérêt du biogaz.
Le gaz vert, alternative durable
C'est en 1776 qu'Alessandro Volta observa, lors d'une promenade, l'inflammabilité du gaz libéré dans les marais par fermentation bactérienne de la matière organique. La méthanisation des déchets reproduit stricto sensu Dame Nature. La technique consiste à collecter la matière organique provenant de l'agriculture (déjections animales, résidus de récolte), de l'industrie agroalimentaire (abattoirs, caves vinicoles, laiteries, fromageries) ou des déchets d'origine domestique (tontes du gazon, ordures ménagères, boues et graisses de station d'épuration) puis à la méthaniser dans un « digesteur » en présence de bactéries. Il s'agit d'une cuve en acier ou en béton hermétiquement close et chauffée à 40°C, température à laquelle les bactéries sont les plus actives. Une fois la méthanisation terminée, le gaz est extrait et le résidu, appelé « digestat », est récupéré. Après traitement, ce dernier est utilisé comme fertilisant.
Par rapport à ses confrères liquide (biocarburants) et solide (bois), le biogaz s'avère très vertueux. Il ne demande pas d'eau ni de surfaces agricoles et ne contribue pas à la déforestation. Le procédé a le double avantage de produire du gaz décarboné tout en traitant des déchets organiques. Sa contribution à l'effet de serre est neutre, voire négative : sans méthanisation, les déchets se seraient méthanisés à l'air libre et auraient rejeté le méthane dans l'atmosphère. Identique chimiquement au gaz naturel, il peut couvrir les mêmes usages dans l'habitat, les transports et la génération électrique. La principale difficulté est de disposer de matière organique en abondance. L'efficacité du tri et de la collecte des déchets en est le défi majeur.
En 2021, le biogaz couvrait 4% de la consommation européenne de gaz. L'Allemagne (51% de la production européenne) devance largement l'Italie et la Grande-Bretagne (chacune 13%). Produisant 10 TWh en 2022, la France (3% de la production européenne) est à la traîne. Source d'appoint extrêmement intéressante en Europe, la part du biogaz devrait y croitre significativement au cours des prochaines décennies. L'ambition de l'UE est de couvrir 10% de sa consommation en 2030 et 25% à l'horizon 2050.
L'étude publiée par l'ADEME en 2019 fait état d'un potentiel de 60 TWh en 2030 et de 145 TWh en 2050. Correspondant à une croissance de 10% par an, ces chiffres apparaissent très optimistes. D'autant que le biogaz reste onéreux (80 à 110 euros/MWh) par rapport au gaz naturel qui, exception faite de l'envolée des cours après le déclenchement du conflit Russo-Ukrainien, oscille autour de 30 euros/MWh. Dans son étude publiée en janvier 2024, l'Institut Sapiens a retenu 100 TWh de biogaz à l'horizon 2050.
En dehors de son intérêt climatique et de son impact positif sur la souveraineté énergétique, le biogaz a aussi de nombreux avantages économiques. Selon l'European Biogas Association, la filière pourrait créer en Europe 500 000 emplois d'ici 2030 et plus d'un million d'ici 2050. Dans une période très troublée pour un monde agricole en colère, il augmenterait de 15 à 20% les revenus des agriculteurs.
Aussi, pour libérer de nouveaux projets et presser les distributeurs à intégrer davantage de biogaz dans leur portefeuille, l'exécutif devait promulguer un projet de loi destiné à promouvoir des certificats de production de biogaz. Si la situation politique instable qui s'est ouverte depuis le 9 juin rend incertaine la publication de ce décret, qui aurait contraint les distributeurs à renchérir encore un peu plus les factures (le gaz prendra déjà +11,5 % au premier juillet), il faudra pourtant faire preuve de courage politique pour aider la filière à se développer. Quant à la compétitivité du biogaz par rapport au gaz naturel, elle ne s'améliorera qu'à la faveur d'une augmentation significative du prix du carbone. Là aussi, une affaire de courage politique.